Patrick Seguin : Le meneur

Patrick Seguin est une sorte d’ovni. Chef d’entreprise à succès, c’est sans diplôme mais à force de travail qu’il creuse son sillon dans l’univers du BTP jusqu’à prendre la tête de la CCI de Bordeaux Gironde en 2017. Son rôle ? Représenter les 100 000 entrepreneurs de l’écosystème local. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le septuagénaire se démarque par son tempérament : engagé, ultra énergique, proche du terrain, à l’écoute, humaniste, humble, ferme lorsqu’il le faut… Une faille ? On n’en a pas trouvé. Portrait d’un homme à qui on aimerait ressembler.

Difficile de résumer le parcours de Patrick Seguin. Difficile aussi de dresser la liste de ses engagements professionnels comme personnels. L’emploi du temps du self-made-man désemplit rarement. Et ce n’est pas pour déplaire à ce chef d’entreprise au regard pétillant et à l’énergie rafraîchissante. Rien ne le prédestinait pourtant à présider la chambre de commerce et de l’industrie de Bordeaux-Gironde, et à devenir ainsi le troisième personnage de la région. « Nous ne nous attendions pas à son élection car son profil était atypique pour la fonction, souligne avec amitié la sénatrice Nathalie Delattre. Il a su apporter un regard neuf, un savoir-être et un savoir-faire différents. » Rien ne le prédestinait non plus à devenir un acteur influent dans les travaux publics. C’est sur le terrain – plus que sur les bancs de l’école – et au gré des rencontres que Patrick Seguin se forme. « J’ai eu beaucoup de chance à ce niveau », reconnaît cet optimiste qui a su oser sortir de sa zone de confort et saisir les occasions qui se présentaient à lui. Un état d’esprit qui lui a permis de gravir les échelons. Stagiaire ouvrier au début des années soixante-dix, il est rapidement promu conducteur de travaux, chef de chantier, chef d’agence, directeur général puis président-directeur général. Chaque nouveau poste – ou presque – est synonyme de challenge technique et de déménagement géographique. Une vie mouvementée reconnaît, sourire aux lèvres, ce meneur de troupes dont la vision d’avenir et le tempérament bienveillant sont largement plébiscités par ceux qui l’entourent. Des qualités humaines et une expérience du terrain qu’il met aujourd’hui au service de la CCI en tant que président élu. « Il sait rester présent, actif, communicant, pragmatique… Et donner de l’espoir aux entrepreneurs de la région », témoigne la sénatrice, précisant son admiration pour l’homme et ses multiples engagements. Au-delà de ses activités professionnelles et de sa vie de famille – il a trois enfants et cinq petits-enfants –, il est, avec son épouse, investi en faveur de différentes causes citoyennes et humanitaires. « Nous sommes des hyperactifs, reconnaît-il, sans prétention aucune. Et on a bien l’intention de continuer à donner de notre temps. De rendre à la société ce qu’elle nous a offert. C’est important pour nous. »

« Son profil était atypique pour la fonction. Il a su apporter un regard neuf, un savoir-être et un savoir-faire différents ».

Nathalie Delattre, Sénatrice

Compagnonnage

Si certains parcours semblent tracés d’avance, celui de Patrick Seguin n’a rien d’un long fleuve tranquille. Il n’a que 16 ans, dans le courant des années soixante-dix, lorsqu’il commence sa vie professionnelle. « J’ai dû, au pied levé, remplacer mon père, qui avait des problèmes de santé, à la tête de sa société de travaux publics, en Charente », explique-t-il. Un passage dans la vie professionnelle qui l’éloigne naturellement des bancs de l’école. Le jeune homme veut rester sur le terrain. Il est alors recruté au sein de la société Jean Lefèbvre à Angoulême – qui appartient aujourd’hui au groupe Vinci – comme ouvrier stagiaire. Construction de routes, mise en place de réseaux d’eau et d’assainissement, pose de trottoirs, conduite d’engins de toutes sortes et de toutes tailles… Le Charentais « passe d’équipe en équipe », se forme et apprend les bases. « C’était un peu comme un compagnonnage », explique, fier de cet épisode, celui qui, alors, ne comptait déjà pas ses heures. Ensuite ? Déterminé à vivre sa propre expérience, Patrick Seguin ne tient pas à retrouver l’entreprise de son père. Et ça tombe bien. Parce que son énergie et son envie de bien faire lui permettent d’être repéré par la société Sogea – filiale de Vinci Construction –, qui l’embauche comme conducteur de travaux.

De l’Île-de-France à Tombouctou

Rapidement, Patrick Seguin se démarque et prouve sa capacité à mener à bien les missions qui lui sont confiées. Si bien qu’il est envoyé, à 26 ans seulement, en Île-de-France comme chef de chantier. Objectif ? Construire un tronçon de l’A86. Un projet d’envergure qui suppose de gérer des équipes et de prendre des décisions parfois lourdes de conséquences. « Je passe de vingt à deux cents collaborateurs », se souvient-il. Avant de préciser avec la franchise qui le caractérise : « C’est difficile, je découvre un autre monde. Je dois faire mes preuves et montrer aux gars que je connais le terrain, que je suis capable de faire le même travail qu’eux. Bref, leur montrer que j’en ai ! » Mettre les mains dans le cambouis, être sur les chantiers jour et nuit s’il le faut… Il sait faire. C’est comme ça qu’il acquiert le respect de ses équipes comme de ses supérieurs. Il n’en faut pas plus pour propulser sa carrière, puisqu’il est nommé conducteur de travaux pour l’ensemble des chantiers de l’entreprise Sogea impliquant des souterrains. Il intervient alors à Marseille, Lille, Bordeaux… Il est même envoyé en Afrique – à Abidjan puis à Tombouctou – pour piloter la construction de stations d’épuration à la fin des années soixante-dix. Une expérience loin des frontières tricolores marquantes sur le plan professionnel, bien sûr, mais également sur le plan humain. Pendant deux ans, Patrick Seguin et sa femme – et leurs trois enfants – vivent au rythme de la culture africaine. C’est là que naîtra leur engagement profond en faveur des enfants malades. Une envie d’être utiles et de venir en aide aux autres qui ne les quittera jamais. 

« Il a su monter au créneau, être présent, se retrousser les manches et rassurer les entrepreneurs. C’était important de maintenir leur moral »

Laurent Courbu,

ancien président de la CCI Bordeaux Gironde

Rejoindre une entreprise familiale, indépendante, engagée

De retour en France au début des années quatre-vingt, l’homme continue son ascension au sein de Vinci Construction. Il est nommé chef d’agence puis cadre de direction. Oui mais voilà, il ne se reconnaît pas toujours dans les valeurs de l’entreprise. Son caractère entier et ses convictions personnelles l’empêchent de poursuivre dans cette voie. Si bien qu’il décide de quitter le groupe. Son objectif dès lors ? Rejoindre une société familiale, indépendante, engagée. Une société ambitieuse sur le plan technique et en matière de gestion des relations humaines. C’est chose faite lorsqu’il rencontre, par hasard, le président de Barriquand, une entreprise basée près de Paris, spécialisée dans les technologies thermiques. « Je suis rapidement séduit par les actions sociales innovantes qui sont menées au sein de l’entreprise et par la philosophie impulsée par le fondateur », explique l’intéressé qui pilotera la société en qualité de DG pendant neuf ans. Une expérience enrichissante, heureuse, intense, formatrice… Mais loin de sa région natale.

Jusqu’à 23 millions d’euros

Après plus de vingt ans passés loin de chez lui, il aspire à retrouver ses racines. Sa rencontre fortuite avec le fondateur de la société bordelaise Sud Ouest Canalisations – lui confiant chercher un repreneur – marque un tournant dans sa vie professionnelle. Et pour cause : Patrick Seguin décide de racheter la société, qui affiche alors un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros, et part s’installer à Bordeaux. Son ambition ? Faire entrer Sud Ouest Canalisations dans une nouvelle ère. S’inspirant de ce qui existe à l’étranger, le chef d’entreprise équipe la structure de technologies robotisées. « On devient, à ce moment-là, une sorte de start-up des travaux publics, explique celui qui s’assure, avec fermeté, du bon traitement des salariés. Si bien qu’on intègre le top 10 des entreprises françaises les plus rentables dans le secteur du BTP. » Le succès est au rendez-vous. L’activité de l’entreprise progresse de 20 % chaque année et son chiffre d’affaires atteint jusqu’à 23 millions d’euros. Un succès qui ne passe pas inaperçu au sein de l’écosystème bordelais. Si bien que celui qui est par ailleurs membre élu à la chambre de commerce et de l’industrie de Bordeaux Gironde gagne le respect des entrepreneurs locaux.

Greease, une nouvelle aventure

Mais qu’on ne s’y trompe pas : le patron de Sud Ouest Canalisations n’a pas l’intention de « s’attacher jusqu’à la mort à l’entreprise ». L’année de ses 58 ans, il décide de passer la main. Pas question toutefois de céder la société au premier venu. Mais plutôt de choisir un repreneur qui partage la même philosophie, le même esprit que lui. C’est chose faite en 2007. Une retraite bien méritée ? Que nenni : « Au même moment, dans le cadre de mon activité de membre élu à la CCI, on me demande de rencontrer deux petits cabinets d’ingénierie qui font face à des difficultés de gestion et cherchent un tuteur. » Patrick Seguin sympathise avec les dirigeants et comprend que ces derniers sont en quête non pas d’une aide ponctuelle, mais d’une personne expérimentée, capable de prendre les bonnes décisions. D’un meneur de troupes, en somme. « Comme d’habitude, je demande son avis à ma femme… Et pars pour cette nouvelle aventure. » Ni une ni deux, il accepte de prendre le contrôle des deux entreprises, qu’il scinde pour former une nouvelle structure : le groupement environnemental spécialisé dans l’eau, l’air et l’environnement (« greease ») qui intervient dans la gestion des risques sanitaires.

Accompagner les 100 000 entrepreneurs de la région

Son pragmatisme, sa connaissance du terrain et son investissement – bénévole – auprès des acteurs économiques locaux lui valent d’être élu président de la CCI en 2017. À la surprise générale. Car Patrick Seguin est tout sauf un technocrate. « Son relationnel est très différent de celui des autres acteurs de notre écosystème, témoigne Nathalie Delattre. Sa dimension dépasse le business. Il a réellement le souci de l’humain et de la justice sociale. Il a une vision qui mêle libéralisme et solidarité. » Sa mission ? Accompagner, soutenir l’économie de la région et ses 100 000 entreprises. Mais aussi : agir pour que l’institution qu’il dirige soit non pas un géant administratif lourd et mou, mais un outil du quotidien véritablement utile pour les acteurs locaux. « C’est ce à quoi il s’applique réellement chaque jour, témoigne Laurent Courbu, ancien président de la CCI. Il fait réellement en sorte avec son équipe d’être au plus proche du terrain et de la réalité des entrepreneurs. »

« Il sait rester présent, actif, communicant, pragmatique… Et donner de l’espoir aux entrepreneurs de la région »

Nathalie Delattre

« C’est vraiment le capitaine du navire »

Parce que la CCI est un établissement sous tutelle de l’État, son président est en contact permanent avec la préfète de la région Nouvelle-Aquitaine. Il joue un rôle majeur dans la région : soutenir et rassurer les entrepreneurs lorsqu’ils sont en difficulté ou lorsque la conjoncture économique est bouleversée. Que ce soit à cause de la crise des gilets jaunes, du Covid ou de la guerre en Ukraine… Patrick Seguin est sur tous les fronts. Avec toujours la même méthode : l’écoute de l’autre, la quête du compromis, la volonté de trouver la meilleure solution possible et la capacité à trancher, lorsqu’il le faut. « C’est vraiment le capitaine du navire, témoigne la sénatrice. Lorsqu’il y a des difficultés, il est à la manœuvre. » Et Laurent Courbu de confirmer : « Il a su monter au créneau, être présent, se retrousser les manches et, ainsi, rassurer les entrepreneurs. C’était important de maintenir leur moral. » Il représente par ailleurs la CCI dans toutes les structures qui dépendent d’elle. C’est le cas, entre autres, du Campus du Lac, de l’école Kedge Business School, de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac… Et si l’intéressé est conscient de l’envergure de la fonction qu’il occupe, il garde les pieds sur terre : « Je n’oublie ni d’où je viens ni qui je suis : un petit entrepreneur élu par ses pairs. » Preuve de son humilité : alors que son mandat court jusqu’en 2027, il pense déjà à la suite et aux futurs élus. Ceux qui prendront le relais et apporteront cet indispensable vent de nouveauté sur l’institution.

Fun facts 

  • Il n’a jamais eu besoin de rédiger son CV.

  • Il est marié depuis quarante-cinq ans et l’assure : « C’est mon épouse qui a fait notre vie. Je sollicite toujours son conseil avant de prendre une décision importante. »

  • Il a trois enfants et cinq petits-enfants.

  • Il a déménagé à quatorze reprises.

  • Il a été membre du CJD (Centre des jeunes dirigeants d’entreprise), qui regroupe 3 000 dirigeants, pendant plusieurs années : « J’ai appris le métier de chef d’entreprise en rencontrant et en échangeant avec d’autres chefs d’entreprise. »

  • Il est passionné de courses automobiles. Il a participé à plusieurs rallyes internationaux… Notamment le Dakar, qu’il a remporté en 2016, dans la catégorie camion, avec son épouse.

Grandeur d’âme

Et en dehors de la CCI ? Il dirige toujours l’entreprise Greease. « J’ai déjà prévu ma sortie », précise toutefois celui qui aspire à profiter. Profiter de la vie, de sa famille. Profiter aussi de son temps libre pour poursuivre – voire multiplier – ses engagements. Dans le cadre du Mécénat de chirurgie cardiaque, notamment. Une association au sein de laquelle Patrick Seguin et son épouse s’investissent sans réserve depuis trente ans. C’est d’ailleurs grâce à leur implication que Bordeaux est aujourd’hui une ville reconnue en matière de chirurgie cardiaque infantile. « Nous avons recruté trente familles qui accueillent bénévolement des enfants issus de pays sous-développés afin qu’ils bénéficient de chirurgies complexes, ici, à Bordeaux », souligne celui qui, avec sa femme, a lui-même hébergé chez lui plus d’une quinzaine d’enfants gravement malades. Et le couple n’a pas l’intention de prendre sa retraite associative de si tôt. Un dynamisme hors du commun qui laisse à penser que, à 70 ans, Patrick Seguin est plus que jamais capable de soulever des montagnes. Une personnalité rare ? Sans aucun doute. « Je suis admiratif de tout ce qu’il fait, note Laurent Courbu. La palette est complète et riche. Elle suppose à la fois énergie, don de soi et disponibilité. C’est assez admirable. » Même analyse, même respect et même enthousiasme pour la sénatrice : « Il est très attachant. C’est sa grandeur d’âme qui lui a permis de gagner ses galons dans l’écosystème bordelais. » CQFD.

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